Le bonheur

 

 

Dans le grand hôtel de maître bruxellois converti en “bains publics gais”, plein de bustes et de tableaux de chasse, un tapis rouge sur les marches en marbre mène vers des alcôves et salles de rencontre. Certains jours, il y a beaucoup de monde. Les mâles de tous les âges y jouent leur désir de manière intense – fougueuse ou langoureuse – , mais jamais précipitée, même s’il est comblé pendant la pause de midi. Le sexe y est civilité. Le sous-sol déploie, à côté d’une petite piscine et une cuve d’eau glacée, un grand sauna finlandais où vingt hommes et garçons peuvent s’asseoir à l’aise, dix s’allonger, et où les braises centrales haussent la chaleur jusqu’à 90 degrés dans les anfractuosités des bancs supérieurs plus éloignés de la porte.

 

Il y a quinze hommes dans le sauna, quelques-uns allongés, la majorité assise. Il fait bien chaud. Il fait bon, personne ne ressent le besoin de meubler le silence. Ils sont dans ce plein de pensées sans effort qui vient et va comme la mer.

 

Ceux qui sont étendus, ont ouvert leur serviette, leur sexe en toutes ses phases repose dans son nid ou sur leur bas ventre. Ceux qui sont assis joignent confort à innocence, ils entr’ouvrent les jambes. De leur entrejambe offert à tous les regards – de reconnaissance, de respect, d’admiration – le sexe semble sourdre tel un ruisseau, tel une promesse de ruisseau.

 

On entend – un peu – les respirations.

 

En face de moi est assis un couple d’amis : l’aîné, à l’orée de la cinquantaine, les cheveux grisonnants, a le corps athlétique, soigné ; le cadet, fin de la vingtaine, a la même stature, sculptée et modelée aussi magnifiquement mais est tout en fleur et sa tête à doux visage est entourée de boucles marron : appuyé à la paroi en bois, il dort.

 

De ses lèvres sort une énigmatique et exaltante musique : pépiements, gazouillements, murmures, sons de bébé et mélodieux gargouillements. Les mecs tendent l’oreille.

 

Souriant, son ami chuchote : “Il est sourd. C’est toujours comme ça quand il dort. Il ne peut pas s’entendre, ça vient naturellement.”

 

 

 

 

 

 

Pisser

 

 

Au feu vert, je traversais le carrefour à circulation dense par le passage clouté lorsque je remarquai, à l’arrêt des bus en face, un jeune homme qui sortait de l’abri où se trouvaient ses compagnons. Il avait les traits d’une personne atteinte par le syndrome de Down et faisait partie d’un groupe de jeunes institutionnalisés pour de légers handicaps mentaux divers.

Il s’approcha du caniveau et, aux yeux de plus de cent personnes empruntant ce carrefour à cette heure, ouvrit sa braguette et, souriant largement à tout ce monde, pissa un puissant jet d’urine couleur paille sur les rails du tram.

Les autres, attendant le bus ou traversant, détournèrent le regard prétendant n’avoir rien vu ; moi, je lui fis un clin d’œil entendu au moment exact où il me regarda, espiègle, triomphant.

Son sexe, rose, charnu, révélé, porteur de l’or liquide de sa fontaine.

 

Il y a une bonne vingtaine d’années, une obédience du mouvement féministe réclama le droit de pisser droit comme les hommes ; des gobelets en carton, jetables ou réutilisables, furent fabriqués à cet effet.

Moi, qui suis proche de l’hominisme, je réclame le droit de pisser debout où que je veuille dans la nature comme les chiens, sans devoir me retourner pour, ou tourner le dos à, un regard féminin scandalisé par la vue ou par l’imagination d’un arôme, ni un regard d’enfant qui y reconnaîtrait son désir secret et s’en sentirait, à juste titre, justifié.

D’enfant, c’est-à-dire : de garçon (pour les petites filles, je me gênerais, uniquement). Devenant adulte également par ce qu’il voit et regarde, il se libère. C’est ce qui lui fut promis par le Créateur.

Les hommes : quel honneur que de mériter leur regard.

 

 

 

La masturbation n’est pas rien

 

 

Cette barre – pont mystérieux entre un trou où se cache de l’introuvable – grotte où dort un dragon – et le gland à l’affût, se levant, s’étirant le cou vers l’extérieur, prêt à plonger vers sa proie : Tout.

Ce sexe.

 

Ou bien il est dur.

Dans ce cas il fascine : la masturbation l’amènera à son état de bouillonnement extatique.

Le faire – ne plus attendre – !

“Pourquoi t’es-tu mis dans cet état sinon pour passer à l’acte, pour sauter, pour gicler ton sperme dans l’univers entier ?”

 

Ou bien il ne l’est pas, dur – et donc n’est pas.

N’est pas : sexe. Sexe, cet organe par lequel le mâle pisse, ne l’est que dur.

Pliable, flasque, il est pré-sexe – qui appelle le sexe, qui s’appelle comme sexe, qui (vite, vite !) va s’appeler sexe..

Dans ce cas, la masturbation le portera à l’existence, le tire du lit, l’éveille. “Allez, viens !”

Puis poursuit son œuvre.

 

Tous les garçons et hommes – qu’ils se spécialisent en hétérosexualité ou en homosexualité – ou dans n’importe laquelle de toutes les gradations intermédiaires – se masturbent.

 

Continuellement. Leur vie durant. Sinon par l’acte, dans l’imagination.

 

N’en déplaise aux femmes.

 

 

 

Le trou qui hèle

 

 

Sa queue est grande et dure. Son sexe est grand et dur.Sa bite est grande et dure.

 

Juste derrière lui, encore en lui – ça déglutit, ça démange.

 

Que lui arrive-t-il dans son trou ?

Le trou qui est en lui mais qu’il a appris à jeter loin derrière lui chaque fois qu’il chie.

Chaque fois qu’il chie chaque merde qu’il chie pour chier à jamais la chierie elle-même.

Ce trou connu pour être méconnu – pour qu’il soit à jamais dans ce trou, reste dans ce trou –

 

Ce trou têtu maintenant, qui lève la tête –

qui obscurément semble articuler pour lui, qui semble lui signaler qu’il ne le quittera jamais – même s’il chie toute sa vie hors de lui, même s’il se chie hors de lui-même – jamais le trou ne le quittera —

lève la tête et déglutit, semble déglutir le sperme même qui est lancé juste après par l’autre bout de sa queue, son gland à chaud –

qui lui dit qu’il est un second gosier – et que dans ce gosier, encore totalement inconnu, inimaginable, juste pressentissable, se cache un trésor, une source –

une source intarissable de SPERME incandescent qui le fait déjà, mais le fera toujours davantage, le garçon, homme.

La source mysteriéuse de son projet “garçon–>homme”.

 

 

 

L’espace qui suce

 

 

Sa queue est grande et dure.

Son sexe est grand et dur.

Sa bite est grande et dure.

 

Devant, loin devant lui – ça tire, ça démange.

L’espace le suce.

L’espace suce son suc.

L’espace tire son suc, jusqu’à ce qu’il se jette sur l’espace, dans l’espace, pénètre à une vitesse insensée cet espace –

augmente vertigineusement l’espace occupé par le corps-tige, le corps-piquet – ou le corps-écran, le corps-roue – du garçon.

Ce jet de démangeaison, démence-en-raison, ce jet de SPERME qui le fait, le garçon, homme.

Son jet “garçon–>homme”. Son projet.