Première prémonition du dortoir

 

 

À Amsterdam, devant un des saunas de nuit “gais”, le premier janvier à une heure de la nuit, il y avait une file.

Les mecs s’étaient acquittés de leurs devoirs familiaux : envers leurs parents, frères, sœurs – potes et amis hétéros monomanes – copines, femmes – enfants peut-être. Ils n’en pouvaient plus, des courbettes devant la société autoreproductrice au moyen du déni de la sexualité d’homme. Être entre eux, enfin !

Les admissions se suivaient rapidement. À l’intérieur, les contacts-contrats se scellaient vite. Toucher un autre mec !

 

Pour moi aussi, ce sauna était un refuge du scintillement aveuglant des réjouissances factices. Du bruit aussi, des éternels pétards qui cachaient avec peine une certaine source d’un certain plaisir : faire exploser tout, se délecter des corps déchiquetés.

Ne “chassant” jamais les hommes, ni désirant être “chassé” par eux, mais laissant advenir les rencontres par la voie de l’intuition plutôt que de la vue, je me suis retrouvé souvent dans une partie moins connue, moins fréquentée, mais à mes yeux sacrée, des lieux.

 

Derrière une paroi discrète en forme de volet – comme se cachant des regards pressés de conclure ce qui avait besoin de durer – s’étendait dans une pénombre bienfaisante un espace tapissé en damier de matelas en cuir artificiel noir, pénombre qui de près du volet se muait en obscurité de nuit une vingtaine de matelas plus loin.

Dans ce pré nocturne, mi-clos mi-ouvert, s’étendaient les hommes désirant se reposer des éruptions qu’ils venaient d’échanger avec leur proie ou chasseur, ainsi que ceux qui, comme moi, avaient d’emblée recherché cet espace, le désir non émoussé.

Il y régnait la paix des caresses tendres, subtiles, reçues de et faites à son voisin, ses voisins, camarades – des approches plus sexuelles, fermement masturbatoires ou ouvrant et pénétrant les cavités de l’intimité, visant des orgasmes en profondeur et longueur – des longs baisers et des mots chuchotés – de la respiration lente d’un dormeur.

 

L’absence de tout temps compté. La présence du temps rêvé ou vécu comme en apnée, de l’éphémère éternel.

L’océan de la masculinité, houleux et calme, avec des crêtes d’écumes et des surfaces lisses sous lesquelles l’homme plonge et perçoit la vie.

 

 

 

La masturbation n’est pas rien

 

 

Cette barre – pont mystérieux entre un trou où se cache de l’introuvable – grotte où dort un dragon – et le gland à l’affût, se levant, s’étirant le cou vers l’extérieur, prêt à plonger vers sa proie : Tout.

Ce sexe.

 

Ou bien il est dur.

Dans ce cas il fascine : la masturbation l’amènera à son état de bouillonnement extatique.

Le faire – ne plus attendre – !

“Pourquoi t’es-tu mis dans cet état sinon pour passer à l’acte, pour sauter, pour gicler ton sperme dans l’univers entier ?”

 

Ou bien il ne l’est pas, dur – et donc n’est pas.

N’est pas : sexe. Sexe, cet organe par lequel le mâle pisse, ne l’est que dur.

Pliable, flasque, il est pré-sexe – qui appelle le sexe, qui s’appelle comme sexe, qui (vite, vite !) va s’appeler sexe..

Dans ce cas, la masturbation le portera à l’existence, le tire du lit, l’éveille. “Allez, viens !”

Puis poursuit son œuvre.

 

Tous les garçons et hommes – qu’ils se spécialisent en hétérosexualité ou en homosexualité – ou dans n’importe laquelle de toutes les gradations intermédiaires – se masturbent.

 

Continuellement. Leur vie durant. Sinon par l’acte, dans l’imagination.

 

N’en déplaise aux femmes.